De la valeur spirituelle des études

5 juin 2008

Alléluia Service n°965

Nous sommes à quelques jours des examens de fin d’année. Pour certains, c’est l’heure du bilan de leurs études secondaires, pour d’autres qui vont affronter le jury des concours, celle de la confirmation du choix de leur future profession, pour les parents et pour les proches celle, parfois bien délicate, de les accompagner dans leurs espoirs, ou leurs inquiétudes...

Mais pourquoi ne pas s’interroger sur la valeur du “travail” qui se fait à l’école, ou en lien avec elle, ce travail qui paradoxalement est “gratuit”, puisqu’il n’est pas rétribué ? Beaucoup butent déjà sur l’usage scolaire de ce mot tellement est devenue ambiguë la notion de “travail intellectuel”, dans un monde où, avec le développement du secteur tertiaire, des gens “monnayent” leurs connaissances ou leur savoir-faire au prorata de leurs années d’études…

Cependant, s’interroger sur la valeur spirituelle du travail intellectuel, ou plus exactement des “études”, y compris celles du chercheur (qui, par définition, ne peut pas dire à l’avance ce qu’il va trouver, sinon il ne le chercherait pas !), ne peut venir que d’un individu soucieux de ce qu’il devient en faisant ce qu’il fait. Non pas, ou pas seulement, de ce qu’il apprend, et encore moins de ce à quoi tout cela pourra bien lui servir plus tard, pour gagner son pain, mais, de ce qu’il devient en vérité.

Or, dans notre société, où peut bien se poser institutionnellement la question de la vérité sinon à l’école où l’on doit corriger ses erreurs, en les comprenant, et ne pas tricher ? Sans doute n’est-il jamais inutile de se rappeler que le mot otium, qui traduit le grec scholè, et signifie “loisir” (pas forcément “oisiveté” !), est l’exact opposé de negotium, qui nous renvoie au monde du commerce… et que, par conséquent, à moins de perdre sa raison d’être, l’école ne peut désigner qu’un espace protégé, et donc “fermé” à la loi du marché, puisque le culte de la vérité et celui du savoir y doivent nécessairement l’emporter sur celui de l’argent.

Ce qui devrait y être recherché, ce n’est pas l’utile, mais le vrai. Pas seulement le savoir pour le savoir, pour ce plaisir qui correspondrait selon Aristote au fait que “tous les hommes désirent naturellement savoir”, mais la rencontre, la réception, du vrai, non seulement dans la nécessité d’une démonstration mathématique ou dans la constance de la vérification expérimentale, mais encore dans la concordance des informations recueillies pour ce qui est des choses humaines ou dans la singularité et la richesse d’une expression. Il y a là rencontre de ce qui n’est pas la création de mon désir et contre quoi mon désir ne peut rien. Nous sommes alors dans ce second genre de connaissance que Spinoza appelle “raison” en l’opposant au premier genre, “l’imagination”, qui est le plus commun, celui par lequel nous commençons tous et en toute chose, chaque fois que l’idée que je me fais d’une chose dépend davantage de ce que je suis que de la chose, chaque fois que mon idée tient lieu pour moi de la chose que je prétends connaître.

Mais mon rapport au vrai n’est pas solitaire : il me met en relation avec d’autres tout en me permettant de trouver avec eux un accord qui ne soit pas de compromis, ni le verdict du nombre, mais respect de ce qui ne peut être autrement, ou encore de ce qui semble historiquement incontestable, puisque les “faits”, mis en mots, sont toujours les produits d’une interprétation et donc toujours faits, ou tout simplement accueil de ce que dit l’autre. Le savoir et l’écoute comme instruments de paix et de pacification ! Comme on est loin ici de la pratique du pouvoir sous toutes ses formes qui, à la différence de la véritable « autorité » (du latin augere, “augmenter”, l’autorité inspire confiance et donne de quoi grandir), ne se maintient qu’en usant du secret et en se soustrayant au dialogue !

Voilà qui est accessible à quiconque a appris à user de sa raison. Mais les études, comme l’expliquait la philosophe Simone Weil (1909-1943), peuvent aussi prendre une tout autre valeur, proprement spirituelle :
“La clef d’une conception chrétienne des études, c’est que la prière est faite d’attention. C’est l’orientation vers Dieu de toute l’attention dont l’âme est capable. La qualité de l’attention est pour beaucoup dans la qualité de la prière. La chaleur du cœur ne peut pas y suppléer”. [1]

Jean Mallein

[1Début du chapitre intitulé “Réflexion sur le bon usage des études scolaires en vue de l’amour de Dieu” dans Attente de Dieu.