Portrait d’un diacre : Jean Louis Andréani

4 mars 2015

Jean-Louis Andreani, vous êtes diacre permanent, président-fondateur de Job Appart, médecin, psychanalyste. Vous êtes aussi marié, père de 4 enfants, et grand-père.
Mais avant tout, je voudrais vous interroger sur la phrase qui est en entête du site de Job Appart :
« Plus tu rencontres d’hommes, plus tu deviens humain »

C’est un proverbe africain qu’on peut utiliser dans notre quotidien. Je pense que l’homme est un être de relation, de relation sociale fondée sur l’amour. Et cela démarre dès la première relation qu’a la mère avec son enfant, relation qui va tisser un lien sensoriel et à travers ce lien sensoriel, sera un lien d’amour que l’enfant va mettre dans son cerveau et vouloir reproduire plus tard. Nous sommes des êtres relationnels en puissance d’amour ; et en tant que diacre, je connais le pourquoi : nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous sommes les seuls « mammifères « qui avons la caractéristique de pouvoir aimer. Mon chien m’aime car c’est moi qui lui donne à manger. Si un autre lui donne à manger, il va se détourner de moi. On n’est pas sur le même registre.

Ce tissage relationnel est donc important et amène l’acceptation de l’autre comme il est. Plus on rencontre d’hommes, plus on devient tolérant à la différence, et mieux on les accepte. D’où ce proverbe. L’amour est fondé d’abord sur une bonne relation avec la mère-même si cette relation n’est pas parfaite et peut entrainer des blessures dans ce petit homme en devenir.

L’amour est le fondement et le sens de notre existence. Si on n’aime pas, on est malheureux, dans le désordre psychologique. Depuis la nuit des temps tout petit être, dès la naissance, va s’accrocher à sa mère –le grasping- et il va enfouir sa tête dans le cou de sa mère. Ce premier lien d’attachement et d’amour est terriblement important. Il doit y avoir une triangulation d’amour entre les êtres : engagement, envie, partage. S’il n’y a pas tout ça, on ne peut pas vraiment aimer.


Donc cette phrase en entête, basée sur la rencontre aimante, est aussi le fruit de votre expérience de vie ?

Oui tout à fait. L’amour est un soin. L’amour ce n’est pas étouffer l’autre. Il est normal qu’il y ait une distance qui va amener le respect. Quand les gens se sentent respectés, considérés, donc aimés, ils vont mieux ; c’est l’expérience que je fais tous les jours. Si on est trop des techniciens éducatifs, on passe à côté ; ce qui importe c’est la compassion, l’empathie dans la relation à l’autre, le prendre là où il en est. Donc il faut être vigilant pour lui montrer qu’il a du prix à nos yeux, comme le dit le prophète Isaïe.

Et maintenant revenons sur votre identité avec toutes ses facettes énoncées : comment ordonnez-vous toutes ces appellations qui finalement correspondent aussi à vos vocations ?

Je crois que tout a été progressif : d’abord, l’engagement dans la médecine n’est pas pour rien, même si ce fut un engagement très humaniste, même si j’avais mis de côté Dieu pendant toute cette période-là…. jusqu’à une rencontre toute bête : un copain travaillait dans un dispensaire à Avignon qui s’occupait de personnes sans domicile fixe. Et sur sa demande, je l’ai remplacé une journée. Ce fut une claque, une révélation : j’ai vu des gens en difficulté, en souffrance et ça m’a interpellé. En rentrant, j’ai dit à mon épouse : « J’ai fait une rencontre... Qu’est-ce que je fais de ma vie ? »
Et à partir de là, j’ai essayé de trouver des réponses, j’ai bouquiné ; et à moment donné, j’ai retrouvé Dieu et c’est ce qui a ouvert mon âme et m’a permis de m’engager. Cette révélation fut un virage dans ma vie. Mes jours de repos devenaient des jours de disponibilité à ces gens en souffrance. Puis les choses ont germé. Cependant, conjuguer psychanalyse et Evangile (Marie Mère de Jésus, Mère de Dieu, Dieu le Père, l’Esprit Saint…), ce fut difficile, jusqu’à ce que j’accepte tout ça dans la foi et tout va mieux depuis !

Dieu Amour a été le courant de ma vie. Mes enfants ont connu, du moins pour les 2 plus grands, le changement de ma vie et tout ça a été très positif.

Changement ? Y mettez-vous le mot de conversion ?

Oui sans aucun doute, car cette forte interrogation a été un grand bouleversement. Ma défense a été de vouloir intellectualiser cette relation-là. Je n’y suis pas arrivé. Donc après, cela a été l’acceptation de cette rencontre avec Dieu Amour qui apporte la paix. L’Amour de Dieu est la seule dépendance qui nous libère, par rapport à toutes les dépendances qu’on peut avoir : l’argent, les femmes, le travail etc… Croire en Dieu nous rend libres.

Donc, je voulais être dans l’action à l’époque (j’avais 35 ans). Je m’étais dit qu’il faudrait donner du travail à tous ces gars-là. Avec mon épouse, nous avons monté une entreprise d’insertion par le travail. C’était l’époque où, faisant partie du conseil de l’ordre des médecins, on avait été interpellé sur le devenir des déchets médicaux…qui partaient à la poubelle. C’est ainsi qu’avec mon épouse nous avons monté cette filière en Vaucluse de récupération de déchets médicaux. Cela n’a pas été simple, mais l’entreprise a pris de l’essor grâce notamment à l’institut Pasteur que j’avais contacté et qui nous proposa la récupération des déchets de 200 laboratoires de la région PACA. Cependant, par rapport à l’humain, les personnes que je voulais faire travailler étaient des personnes cabossées, mais bien trop abimées par la vie, elles ne pouvaient pas travailler. Il fallait prendre des personnes à la limite de la détresse et de l’emploi, pour que l’entreprise puisse fonctionner. Cela m’a posé question, car il fallait faire un tri.

A l’époque j’avais une consultation hebdomadaire en addictologie, et je voyais des gars qui dormaient dans des wagons à la gare de l’Isle sur Sorgue. Je voyais notamment un homme que je commençais à soigner pour son addiction à l’alcool alors qu’il dormait dehors, ce qui est assez incompatible pour la réussite du soin. Je dis alors à mon épouse qu’on allait acheter une maison et qu’on allait les mettre dedans. Quand j’ai donc monté l’association Job Appart, je suis allé voir les banques pour emprunter en vue de l’achat d’une maison de village à l’Isle dur Sorgue, elles ont d’abord refusé : pas de rentabilité possible avec des SDF. Le prêt m’a été accordé en tant que médecin et la maison a accueilli les premières personnes le 25 décembre 1994- la personne qui m’avait le plus interpellé est morte de froid 2 jours avant de pouvoir entrer dans la maison. Je fus alors dans la colère et l’incompréhension. Puis on a commencé à faire entrer les gars alcoolisés en soins, parce que, à l’époque, je travaillais en tant que médecin alcoologue et que je connaissais une structure capable de les accueillir-tout ça pour leur permettre de venir ensuite vivre au foyer.

Et puis j’avais remarqué que les gars ne mangeaient pas ou mal, debout, une boîte de conserve à la main, donc avec des risques entre autres, d’avitaminose. Et je me suis dit qu’il fallait qu’on trouve un moyen de les faire manger ; et un jour, à la Verdière à Montfavet, au moment de l’Eucharistie, j’entends. « Achète un resto ! » et quelques jours après je trouve un petit restaurant pas cher que ma femme et moi achetons.

A partir de ce moment-là, les gars ont fait à tour de rôle la cuisine ; cela les valorise. La vaisselle, sans machine, est devenu un moment de convivialité.

Ensuite nous avons pris un éducateur. Parallèlement à tout ça, j’avais le cabinet médical, le dispensaire, l’entreprise…et je n’ai pas tenu physiquement, me retrouvant coincé dans un lit avec une compression médullaire. J’ai donc laissé l’entreprise à mon fils Pascal, ma femme travaillait dans l’entreprise… et moi j’étais dans mon lit en attendant d’aller un peu mieux. Mais j’ai dû faire des choix : j’ai laissé le cabinet : ce fut une claque, ce fut même dépressif. J’ai demandé au Seigneur la force de pouvoir marcher, alors que mes confrères neurologues pensaient que je ne le pourrai jamais plus. Et j’ai recommencé petit à petit à marcher. J’ai dit : Merci Seigneur ! Cela a été une libération et je me suis consacré au foyer ; en même temps, je poursuivais une analyse sur moi pour comprendre ce qui se passait. Puis j’ai donné des cours de psy à des étudiants, tout en étant dans cette spiritualité de me dire que j’avais tellement reçu qu’il fallait que je donne.

Et puis j’ai entendu plusieurs appels au diaconat : tout d’abord, un éducateur-diacre qui me dit : « As-tu pensé au diaconat ? » Ce à quoi j’ai répondu : « Ce n’est pas pour moi. Je ne le mérite pas. » Je suis allé ensuite à Paray le Monial où j’ai rencontré un prêtre qui m’a dit : « Avez-vous pensé au diaconat ? »

De retour, une troisième personne me pose la même question. Et il va voir Mgr Bouchex qui me convoque et à la même question, je réponds : « Ecoutez Père, que je sois diacre ou pas, cela ne va pas changer ma façon de vivre. Si vous pensez que cela peut être utile, vous m’appelez au diaconat. Mais si vous ne m’appelez pas, cela ne va pas changer ce que je vis aujourd’hui ». Cela l’a interpellé et après une formation à l’Institut diocésain de formation, et une formation au diaconat avec mon épouse, j’ai été ordonné en avril 2002. Pour les médecins, j’étais un doux dingue. Mais, j’ai été étonné de constater que certains étaient présents à mon ordination. Pour moi c’était un témoignage de dire qu’on pouvait être médecin et être engagé.

Et donc aujourd’hui, je me définis comme Jean-Louis, diacre. Jean-Louis d’abord, parce que il y a là, la totalité de l’homme, et diacre, parce que c’est ma vie.


Finalement, être ordonné diacre, cela a-t-il changé votre vie, votre manière de voir votre mission à Job Appart ou même la vie autour de vous… ?

Oui totalement ! Le fait d’être ordonné diacre amène des grâces particulières. Ma préoccupation était de parler d’amour, don de Dieu, indirectement, à mes élèves futurs psychanalystes. Puis j’ai arrêté les cours. Car ma mission d’Eglise était surtout ici à Job Appart : parler d’amour ici. Ici on est confronté à la souffrance avec des parcours de vies différents pour chaque personne. Ils ne sont pas là par hasard. Ici, je représente l’autorité, l’autorité confiante, rassurante, affective, fraternelle, paternelle ; et ça leur redonne confiance : je peux être aimé d’une autre manière que ce que j’ai connu en étant enfant, abandonné ou autre… Et ça c’est très important. Je suis aussi leur président pour les socialiser ; je ne suis pas leur médecin ou leur psy ou alors très peu de manière ponctuelle ; ils ont leur médecin ou leur psy en ville. Ce qui est important, c’est l’empathie envers chacun, la patience aussi.

Aujourd’hui encore, je ne me lasse pas. Je ne suis pas usé. J’ai autant de courage qu’il y a 10 ans en arrière, par rapport à quelqu’un qui vient pour la première fois. C’est vraiment ma voie et le charisme que m’a donné le Seigneur. Je suis bien avec les SDF. Les relations sont fortes, pas faciles souvent, car on est confronté à des problématiques psychiatriques lourdes .

Arrivez-vous à être explicitement apôtre au cœur de votre association qui est laïque ?

C’est difficile. Dans mon bureau au restaurant, il y a une toute petite croix. Parce que nous recevons des personnes de tous horizons, il n’y a pas d’évangélisation directe. En revanche, depuis des années, des frères prêtres viennent déjeuner tous les vendredis. Eux évangélisent par le fait qu’ils viennent ; des questions de foi leur sont quelquefois très directement posées. En contrepartie, je crois que les prêtres se laissent évangéliser par ces pauvres.

Ce temps de partage est précieux pour l’évangélisation par rapport à ce que moi je ne fais pas directement. En revanche, par ma façon de vivre, cela peut les interpeller. Un jour, un d’entre eux m’a dit : « Mais pourquoi tu fais ça ? » -« Tout simplement, parce que je crois en Dieu » ai-je répondu.

Avez-vous alors une Parole de Dieu, que vous voulez alors faire passer, transpirer par votre être auprès des personnes accueillies ?

Quand on a ouvert le restaurant, l’Evangile du jour c’était les Béatitudes. Du coup je l’ai affiché en remerciant le Seigneur de m’avoir fait cadeau de ce Texte. C’est un Texte fondateur pour Job.
« Job ! »…Job pour l’administration veut dire travail, mais moi, j’ai toujours été étonné par Job de l’Ancien Testament, par sa résistance, sa persévérance en Dieu qui l’amène au bout vers Dieu. C’est dans la prière que j’ai trouvé ce nom pour l’association.

Ceci dit, les Béatitudes ont toujours en moi une forte charge émotionnelle et me portent toujours aujourd’hui.

Est-ce que aujourd’hui, avec tout ce que vous avez vécu, vous arrivez à dégager quelque chose de plus large sur le dessein de Dieu sur vous ?

Je rejoindrai là Mère Térésa : Je suis une goutte d’eau dans un océan, mais le Seigneur m’attend là.
Je voulais, à moment donné monter un autre restaurant à Apt, et ça ne s’est pas fait. Quand les choses ne se font pas, c’est qu’elles ne sont pas de Dieu. Pour le moment Dieu m’attend là ; s’Il a envie que je fasse autre chose, je le ferai. Mon problème, c’est savoir lâcher, comme pour trouver un successeur, même si pour l’heure il n’y a pas de candidat. Il faut accepter de laisser la place, non pour prendre la retraite, mais pour que l’association continue à grandir au-delà de mon empreinte.

Je voudrais terminer sur l’importance de votre épouse que vous avez si souvent citée :

Nous sommes mariés depuis 45 ans. Elle a été là à toutes décisions, même si elle n’aborde pas du tout les personnes accueillies comme moi ; ce n’est pas son truc. Mais depuis toujours, elle a auprès de moi un rôle d’accompagnement très important et précieux !