La liberté

4 mars 2015

Un grande radio nationale proposait il y a quelques jours la réflexion fort intéressante d’une historienne sur la liberté.

Son analyse partait de la rupture du XVIIIe siècle et de la Révolution Française, passait par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le rejet de tout dogmatisme et les utopies du XIXe siècle dont sont nés collectifs, associations et coopératives pour développer le penser et l’agir ensemble. Peu à peu, disait-elle, la liberté individuelle l’a emporté en oubliant que l’on ne peut exister et être libre qu’en face de l’autre et des autres. Nous ne sommes pas libres seuls, nous ne pouvons exister socialement que collectivement. Il ne peut y avoir de liberté individuelle sans que l’autre soit libre.

Le libéralisme a remplacé la liberté dont on ne sait plus quoi faire, devenue une liberté contre l’autre sur lequel on va marcher, que l’on va exploiter, dominer, convaincre dans la loi [triomphante] du marché. Nous avons oublié qu’il ne s’agit que de la liberté d’exister.

Un appel à la responsabilité concluait cette intervention.

Aussi intéressante que cette approche ait pu m’apparaître, elle m’a laissé un goût d’inachevé. (Ce qui n’est pas surprenant dans le temps limité d’une interview radiophonique.)

J’ai eu le sentiment qu’une approche strictement humaniste, pour ne pas dire humaine, limite nécessairement le champ de la réflexion sur un sujet qui ne peut échapper à la transcendance et à la métaphysique.

En fait, me semble-t-il, la recherche de liberté naît d’une situation dans laquelle nous ne nous sentons pas libre. Partons-nous à la conquête de quelque chose que nous détenons déjà ? Si nous sommes libres et si nous en sommes conscients, sans doute aurons-nous le désir de garder cette liberté mais nous n’éprouverons pas le besoin de la conquérir puisque nous l’avons déjà ! Nous avons plus ou moins la conviction que la liberté se conquiert de haute lutte. C’est ce que nous avons appris dans les manuels d’histoire qui nous ont présenté la Révolution de 1789 comme la conquête de sa liberté par le peuple Français. Cette lutte pour la liberté, nous dit la tradition républicaine, s’est prolongée tout au long des dix neuvième et vingtième siècles avec des hauts et des bas. Mon propos n’est pas de m’interroger sur le bien fondé de cette « vérité républicaine ». Je noterais simplement que la liberté gagnée a un goût d’inachevé…

Pour quelle raison ? Qu’est-ce que la liberté ? Qu’est-ce qu’être libre ? Dans la formulation de cette question se trouve peut-être une partie de la réponse : être libre, est-ce un état ?

La liberté se décline à de nombreux niveaux : liberté d’agir, liberté de déplacement, liberté de pensée (penser), liberté du cœur, liberté des sentiments, liberté de choix, liberté de religion, liberté naturelle, liberté civile, liberté politique, liberté d’esprit, liberté d’allure, liberté sexuelle, liberté individuelle, liberté de mouvements, liberté de réunions… Nous pourrions allonger encore la liste. Cependant, deux niveaux, deux catégories de liberté semblent se distinguer de façon assez évidente, ce sont la liberté physique ou extérieure et la liberté intérieure.

La liberté d’aller et venir n’induit pas de manière systématique le sentiment de liberté pour la personne qui en jouit. Paradoxalement on peut rencontrer dans des lieux de privation de liberté des personnes dont la disposition d’esprit est telle qu’elles font preuve d’une liberté remarquable. Rappelons-nous par exemple l’étonnante liberté intérieure qui habitait Nelson Mandela au long de ses années de détention. À l’inverse nous connaissons tous des personnes dont rien ne paraît entraver la liberté et qui souffrent d’un enfermement extrêmement douloureux.

Il semble donc bien qu’au-delà des situations de privation de liberté telles que celles imposées
par l’emprisonnement ou les dictatures, le sentiment de liberté soit davantage lié à une disposition d’esprit qu’à une réalité physique. S’il est possible d’enfermer la personne pour en contrôler les actes, il est bien plus difficile d’enfermer l’esprit de la personne pour en contrôler le fonctionnement et les idées.

Cette faculté de liberté intérieure, de penser indépendamment est une extraordinaire richesse humaine. Elle peut aussi devenir un terrible danger quand, échappant aux règles de la vie en commun, des esprits fragiles, sans sagesse, sans discernement, sans fondement éducatif solide font l’objet de lavage de cerveau et d’endoctrinement. Les événements tragiques que vient de vivre la France illustrent, hélas, de manière particulièrement douloureuse les conséquences dramatiques de telles pratiques. Notre vigilance ne doit pas se relâcher et la mobilisation contre toutes les dérives sectaires est un devoir pour chacun d’entre nous, et tout particulièrement nous chrétiens ! 

Comment vivre en toute liberté sans risquer les dérapages incontrôlés de l’abus de liberté de notre société moderne dans laquelle - comme nous l’évoquions en début de texte - la liberté individuelle s’exerce au détriment de la liberté d’autrui ? Et ceci à bien des niveaux que nous n’aborderons pas ici.

« Où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté » nous dit l’Apôtre Paul en 2 Co,3. Qui, croyant, agnostique, voire athée - car un athée se définit par sa [non] foi en un Dieu auquel il ne croit pas - pourrait douter de l’absolu liberté de Dieu ? Mais entre le croyant en un Dieu jupitérien pour qui tout ce qui se passe sur terre relève de la volonté divine, en excluant les causes secondes, et le non-croyant ou l’athée convaincu, il existe certainement une voie médiane.

Toute la Révélation nous montre que Dieu est absolument libre. Libre au point de créer l’homme libre de lui dire non ! Et c’est ce que nous avons fait… et continuons de faire !
Après le péché originel, de « fils » les hommes sont devenus « esclaves », en suivant « la voix du Malin ». Disait le pape François le 31 décembre et il ajoutait : Le chrétien est appelé à « demander la grâce de pouvoir marcher en liberté pour réparer les dommages infligés et lutter contre la nostalgie de l’esclavage ».
Nous serions donc nostalgiques de notre esclavage ? Notre recherche effrénée de liberté pourrait-elle n’être que la recherche inconsciente d’un esclavage ignoré, tellement plus sécurisant qu’une liberté dont le champ est si vaste qu’il provoque en nous une véritable panique, un désarroi insupportable ? De quelle addiction sommes-nous tellement prisonniers que nous soyons inlassablement en quête d’une liberté dont nous ignorons ce qu’elle est réellement, ce qu’en est la dimension, sorte de terre inconnue, de pays de rêve vers lequel nous courons, pour, à la moindre occasion, à la première incertitude, au plus petit doute, retourner à toute vitesse à nos habitudes tellement moins déstabilisatrices que l’inconnu de la liberté ?
Rappelons-nous les récriminations du peuple d’Israël après sa sortie d’Egypte où il était pourtant en esclavage !
Dieu a créé l’Homme libre, tellement libre que celui-ci abuse de cette liberté et rompt le lien avec son Créateur. Cette rupture provoquée par le mensonge du Malin lui fait, à l’opposé de l’affirmation de celui-ci, perdre sa liberté : l’illusion, la vanité et l’orgueil se substituent à l’Esprit qui souffle en lui la vie et origine sa liberté. Nous connaissons dans notre vie humaine les conséquences de cette perte de liberté et en souffrons : toutes nos dépendances en dérivent…

Dieu prend l’initiative de renouer le lien ! Comment le fait-il ? Par une réponse totalement libre à laquelle aucun homme n’aurait pu penser : Le Fils éternel du Père, deuxième Personne de la Trinité, s’incarne en notre condition humaine. Il l’assume intégralement, prend sur lui la totalité du mal des hommes, les conséquences de leurs ruptures et de leurs péchés, meurt sur la croix, descend aux enfers dans lesquels il dépose toutes ces immondices, ressuscite et nous ressuscite avec Lui !
C’est sur la croix que se manifeste l’absolue liberté de Dieu. Sur la croix, Dieu incarné nous montre le chemin de la liberté qui n’est absolue que dans le don complet de soi ! « Qui veut sauver sa vie la perdra. » Nous sommes, là, bien loin de la conception humaine de la liberté !

L’Amour se met à genoux devant nous pour nous laver les pieds, il prend notre crasse sur le linge qu’il a noué autour de sa taille… Il court au devant du fils prodigue et le couvre de baisers… Il rémunère les ouvriers de la onzième heure comme ceux de la première… Il accueille les publicains et les pécheurs… Il se réjouit plus pour la brebis qui a fugué et prend sur ses épaules que pour les quatre vingt dix neuf autres qui n’ont pas bougé… Il élève les humbles, il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides…
En tout cela, Dieu est parfaitement et absolument libre. Mais à vision humaine une telle liberté a bien de quoi surprendre. Pas étonnant que la liberté de l’Evangile ait autant de difficulté à passer dans nos esprits plus aptes en général à se rassurer par des voies bien bordées dans lesquelles le risque de se tromper paraît beaucoup moins grand.
Humainement, l’absolue liberté est une absence totale de contrainte. Pourtant nous avons grand besoin de limites, de règles, de préceptes et de repères précis. Au lieu de cela Jésus nous parle de béatitudes, de pauvres, de doux, d’affligés, d’assoiffés de justice et de miséricordieux, de cœurs purs qui voient Dieu, d’artisans de paix persécutés pour la justice à qui appartient le Royaume des Cieux. Désarmant !Ce serait tellement plus facile d’avoir un catalogue précis : permis, défendu. Au moins nous saurions à quoi nous en tenir ! 

« Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Et comment nous a-t-il aimés ? Il est mort pour nous ! L’absolue liberté de Dieu se révèle dans le don absolu de Lui-Même.

« Mes chemins sont tellement élevés au-dessus de vos chemins. »
Aussi grand soit-il, le niveau de ma liberté ne saurait être comparé à celui de Dieu. Mais entre l’approche humaniste de la liberté telle qu’entre-aperçue en début de ce texte et la liberté divine, nous pouvons essayer de placer la voie médiane dont il était aussi question plus haut. Ne rêvons pas d’un monde dans lequel chacun serait totalement libre, totalement donné, offrant ainsi à l’autre la possibilité d’une parfaite liberté réciproque fruit du don absolu, Dieu seul le peut !

Alors justement, acceptons de recevoir de Dieu, et sans réserve, le don absolu de son amour. Enfants de Dieu créés à son image et à sa ressemblance, vivons la liberté des enfants de Dieu tellement plus grande et plus universelle que celle des Lumières et des Droits de l’homme ! Ouvrons grande la porte de notre cœur à l’Esprit Saint qui le façonnera, lui donnera l’absolue liberté que nulle loi humaine ne peut offrir, la seule vraie liberté, la seule que nul ne peut nous enlever. Oui, nous sommes libres, n’ayons pas peur et rendons grâce. En toute confiance prenons l’ascenseur, sans rien payer, ici tout est gratuit, la joie est offerte et se partage, librement !

Henri Faucon